jeudi 29 décembre 2016

Oh, grâce présidentielle



Dans la série droit, j'appelle Jacqueline Sauvage.

Je suis indignée. D'une part, parce que je suis juriste et d'autre part je suis une femme et que les violences conjugales me touchent.

Madame Sauvage a tué son mari Norbert Marot en 2012. Elle lui a tiré trois coups de feu dans le dos avec son fusil de chasse.

Pour expliquer son geste, elle affirma avoir eu peur des menaces qu'il aurait proféré plutôt dans la journée. Elle expliqua aux enquêteurs avoir été victime de violences conjugales et ses filles avancèrent avoir été abusé dans leur jeunesse. Je ne vais pas entrer d'avantage dans les détails car de nombreux sites l'ont déjà fait auparavant.

Aussi, Jacqueline Sauvage est condamnée le 28 octobre 2014 par la cour d'assises d'Orléans à 10 ans de réclusion criminelle pour le meurtre sans préméditation de Norbert Marot. Elle est incarcérée puis fait appel de la décision deux jours après. Cette peine a été confirmée en appel pour meurtre aggravée, étant donné qu'il s'agissait du conjoint.

Les trois filles demandèrent la grâce présidentielle janvier 2016: kesako?

L'article 17 de la Constitution Française autorise le président à exercer le droit de grâce, soit une prérogative personnelle au même titre que les pouvoirs exceptionnels de l'article 16 ou la nomination du premier ministre. C'est un droit régalien qui n'exige pas de motivation.

Humainement, cette affaire suscite intérêt car on s'identifie au récit de Jacqueline Sauvage et on ne comprend pas qu'elle puisse être condamné pour le meurtre d'une personne qu'elle désigne comme étant son bourreau. 
Juridiquement, cette affaire n'est pas un cas de légitime défense et aucune preuve ni témoignage objectif n'a été apporté pour confirmer son récit. 



Il y a un an le président accordait une grâce partielle réduisant sa peine. Le 28 décembre 2016 le président Hollande lui accorde une grâce totale:

« Le président de la République a estimé que la place de Mme Sauvage n’était plus aujourd’hui en prison, mais auprès de sa famille »



Mais je vous partage à présent le point de vue de Me Cathy Richard, avocate:
"  Je voudrais porter à la connaissance de ceux qui les ignorent quelques éléments, en citant Maître Eolas :
"Parce que l’examen des faits provoque quelques accrocs à ce récit émouvant. Sans refaire l’ensemble du procès, le récit des faits présenté par l’accusée lors de son interpellation a été battu en brèche par l’enquête (aucune trace des violences qu’elle prétendait avoir subi juste avant, hormis une trace à la lèvre, aucune trace dans son sang du somnifère qu’elle prétendait avoir pris, l’heure des faits ne correspond pas aux témoignages recueillis). De même, s’il est établi que Norbert Marot était colérique et prompt à insulter, les violences physiques qu’il aurait commises n’ont pas été établies avec certitude. Si l’accusée et ses trois filles ont affirmé leur réalité, en dehors de ce cercle familial, aucun voisin n’a jamais vu de coups ni de traces de coups, et les petits-enfants de l’accusée ont déclaré n’avoir jamais vu leur grand-père être physiquement violent avec leur grand-mère. Aucune plainte n’a jamais été déposée, que ce soit pour violences ou pour viol. Une des filles du couple expliquera avoir fugué à 17 ans pour aller porter plainte, mais avoir finalement dérobé le procès verbal et l’avoir brûlé dans les toilettes de la gendarmerie. Mais aucun compte-rendu d’incident n’a été retrouvé. De même, le portrait de Jacqueline Sauvage, femme sous emprise et trop effrayée pour porter plainte et appeler à l’aide ne correspond pas au comportement de l’accusée, qui a par exemple poursuivi en voiture une maîtresse de son mari qui a dû se réfugier à la gendarmerie, qui a été décrite comme autoritaire et réfractaire à l’autorité des autres par l’administration pénitentiaire durant son incarcération. Une voisine a même déclaré à la barre avoir vu Jacqueline Sauvage gifler son mari. Dernier argument invoqué par les soutiens de l’accusé : le suicide du fils du couple, la veille des faits, qui aurait pu faire basculer Jacqueline Sauvage, mais il est établi qu’elle ne l’a appris qu’après avoir abattu son mari. Ajoutons que le fusil en question était celui de Jacqueline Sauvage, qui pratiquait la chasse.
Tous ces éléments et d’autres encore débattus lors des deux procès expliquent largement la relative sévérité des juges" (http://www.maitre-eolas.fr/post/2016/02/03/De-gr%C3%A2ce).
François Hollande dit "Merde" aux magistrats qui l'ont condamnée, mais aussi ET SURTOUT "Merde" au peuple français, qui avait statué par deux fois, et "re-Merde" aux juges d'application des peines et "re-Merde" à ceux de la Cour d'appel ayant confirmé la décision des juges d'application des peines…
Lorsqu'il n'y avait pas d'appel possible des décisions de Cour d'assises, lorsqu'il y avait la peine de mort, lorsque... la grâce de l'exécutif pouvait se comprendre... Mais aujourd'hui, un homme à terre, en fin de mandat, a voulu se racheter une popularité, influencé par les médias, manipulé par une opinion publique aveuglée par une belle fable...
Le résultat c'est une énorme injustice, dont pâtissent les victimes de violences conjugales au premier chef, et tous les condamnés à tort ou trop lourdement, qui ne bénéficieront pas de la mansuétude d'un homme en fin de règne...».
Maître Caty Richard  "

Outre le fait qu'elle mérite ou non cette grâce, deux jury populaires et six juges professionnels l'ont déclaré coupable et condamné à une peine de réclusion criminelle. Le système juridique français permet de faire appel de la première décision et Jacqueline sauvage a pu en bénéficier. Des citoyens lambda comme vous et moi l'ont condamné à la peine de réclusion criminelle. Et le président vient tout bonnement de bafouer deux années de bataille judiciaire. S'il estimait réellement qu'elle méritait cette grâce, pourquoi n'a t-il pas agit il y a un an? Cette décision est purement politique et c'est bien cela qui me dérange. Car en l'espèce il y a eu meurtre et la Cour d'assise a rendu une décision conforme au droit.  Les avocats de la défense ont plaidé une légitime défense qui n'a pas été retenu, les coups ayant été portés dans le dos. Et comme me l'a dit une amie juriste, les violences aurait du être interprété comme des circonstances atténuantes pas pour la disculper de son crime. Cette immixtion du président s'inscrit dans la lignée de son livre, premier élément provocateur de l'ordre judiciaire sous l'ère Hollande. 

Alors oui je comprend le soulagement des associations ou des simples particuliers comme vous et moi de voir cette femme libre mais je comprends aussi la colère des magistrats, juristes… 

Personnellement, je milite pour l'encadrement de cette prérogative dont l'application est complexe. 

En espérant que 2017 nous réserve une bonne actualité. 


NB: JS est sortie de prison le 28 décembre et je suis heureuse qu'elle puisse retrouver sa famille. Mais le vendredi 6 janvier elle s'est exprimée au JT de france 2 en disant qu'elle n'était pas coupable. Qu'elle devienne symbole de la lutte contre les violences conjugales oui, mais de là à dire qu'elle n'est pas coupable de son geste non. Cela montre encore une fois la perplexité de cette affaire dont je suis sur va encore faire couler beaucoup d'encre. 


D.

(crédit photo Le monde, Fil droit)





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